photo : Juliette Landon, équipe Grand Est - Komugi - La Fabrique

Frapper un mur

par Laury Milette

30 juin 2023 - On en est déjà à la moitié de la saison maintenant, c’est fou non? Il s'est passé tellement de choses et pourtant j’ai l’impression que tout s’est enfilé très rapidement. J'ai beaucoup couru ces derniers mois et bien que ça ne se soit pas exactement passé comme prévu, j’ai pu en apprendre beaucoup sur moi-même. Passons en revue ce dernier bloc de courses avant le retour à la maison (pour les Championnats canadiens), voyageant de la République tchèque aux Pyrénées, en passant par les dantesques Alpes françaises.

Je vous invite à suivre mon cheminement personnel en partageant les difficultés que j'ai rencontrées lors de cette première moitié de saison et comment je me découvre à travers la réalité de la course de haut niveau.

Le Tour de Féminin est une des plus belles courses auxquelles j’ai pu participer. C'est une course par étapes de 4 jours en République Tchèque, débutant par un contre-la-montre et proposant des parcours intéressants mêlant routes sinueuses et courtes montées assez raides. L’ayant fait en 2021 lors de ma première année chez les élites, j'avais de grandes attentes pour cette édition.

Avec 2 très talentueuses spécialistes du contre-la-montre dans l'équipe, nous avons débuté le tour en bonne position pour jouer le classement général. Dès lors, le plan était de les protéger à tout prix jusqu'à la fin.

Jour de course! Bien que j’endossais le rôle de coéquipière pour ce tour, j'ai eu l'occasion de montrer de quoi j'étais capable au jour 3, lorsqu'une échappée de 15 concurrentes s'est formée après le dernier grand prix de la montagne. Je savais que c'était ma chance d'obtenir ma première victoire UCI, mais je n’ai pas joué le sprint final assez intelligemment, prenant le dernier virage trop loin derrière. Finir dans le top 10 était quand même une belle performance, et j'ai beaucoup appris, même si j'espérais un peu plus.

La dernière étape a été un succès, avec Chloé prenant la première place, attaquant à 1 km de la ligne d'arrivée. Nous étions très satisfaites des progrès que nous avons réalisés à chaque étape, travaillant de mieux en mieux en équipe. La communication n'a pas été facile au début, mais ça s'est plutôt bien amélioré après le deuxième jour, suite à un bon débriefing où personne n’a été ménagé. On se devait d’être honnête les unes envers les autres si on voulait trouver des solutions et ça a bien fonctionné. Nous avons conclu cette semaine de course avec une crème glacée et chacune d’entre nous a pu acquérir un peu plus d’expérience.

L'Alpes Gresivaudan Classic est une course de grimpe pure unique en son genre : 132km avec 3200m de dénivelé cette année. J'ai une relation amour-haine avec la montagne, donc je savais que ça allait être un gros défi, mais j'étais prête à le relever. Je suis tombée en amour avec la région, et c'est toujours spécial de courir là-bas, même avec toute la souffrance que ça implique. Je ne suis pas une pure grimpeuse, mais avec une bonne préparation je peux m’avérer utile pour mes coéquipières. Nous avons fait une reconnaissance complète du parcours quelques semaines avant la course pour être bien préparées. Connaître les routes, notamment les descentes, est un avantage précieux. On peut perdre la course aussi bien en montée qu'en descente.

Jour de course! J'espérais faire le premier groupe après la première difficulté, mais j’ai lâché à la toute fin. J'ai fait de mon mieux pour aider l'équipe autant que possible, puis mon seul objectif était de terminer la course. C'était très dur mentalement, il faisait chaud et je devais m'assurer de manger suffisamment. Je suis restée dans un petit groupe de 4, et nous avons bien travaillé ensemble pour arriver au circuit final, pour ensuite m’en sortir avec un top 35. Beaucoup de gens de l'équipe sont venus nous encourager, et pour moi, ça a fait toute la différence. Ça restera l'un de mes meilleurs souvenirs de course.

Bienvenue dans les Pyrénées ! Avec 3 jours de course difficiles devant nous, y compris l'ascension de la célèbre montée du Hautacam, on savait que ce serait un week-end mouvementé - mais pas TANT que ça ! Après une première étape chaotique, beaucoup de concurrentes ont commencé à remettre en question la sécurité mise en place pour la course. Il y avait des voitures partout sur le circuit final, et les gens traversaient la route sans même regarder, ne sachant pas qu’il y avait une course de vélo en cours. On nous a dit que la sécurité serait renforcée pour la deuxième étape, mais encore une fois la plupart d'entre nous ne se sentaient pas en sécurité suite à quelques incidents qui auraient pu mal tourner. Les concurrentes ont décidé de neutraliser la course jusqu'à la grande ascension, et de commencer à courir à partir de là. Après avoir consulté chaque équipe le lendemain, nous avons préféré ne pas prendre le départ de l'étape 3.

Cette situation a mis tout le monde mal à l'aise, bien entendu. Toutes les concurrentes savaient combien de temps et d'énergie il fallait pour organiser un événement aussi important et nous n'étions pas fâchées contre l'organisation, mais nous ne voulions tout simplement pas risquer nos vies pour une course. On ne pouvait pas attendre qu'un terrible accident arrive pour y mettre fin. Beaucoup d’équipes WorldTour étaient là, contrastant avec les petites équipes qui avaient besoin de chaque point UCI pour survivre, mais les concurrentes ont tout de même décidé d'être unies et de demander plus de sécurité, parce que le cyclisme est notre travail et nous méritons d'être en sécurité lorsqu’on l’exerce. L’UCI a finalement annulé la dernière étape 1h avant le départ. Il était trop tard pour trouver suffisamment de ressources pour résoudre le problème, c'était donc la bonne décision, même si ce n'était pas la plus facile.

La vérité c'est que ma saison européenne s’est avérée décevante jusqu'à présent. Après avoir chuté en Belgique au mois d’avril, je ne me sentais plus tout à fait moi-même. J'y suis allée trop fort et trop vite suite à ça, et j'ai eu beaucoup de mal à équilibrer mon entraînement et mes courses. Pour la première fois de ma vie, je me suis heurtée à un mur. Je me suis rendue compte de tout le travail qu'il me restait à faire pour être parmi les meilleures, mais je n'étais pas mentalement ou physiquement capable de faire quoi que ce soit à ce moment-là. Le pire, c'était d'être aussi loin de chez moi. J'aime mon indépendance, mais quand les choses sont devenues plus difficiles, je me suis sentie très très seule à 5 000 km de chez moi, dans une petite ville au nord de la France.

On commence à s’interroger sur soi-même et sur ses choix. Le cyclisme peut être cruel. On peut s'y consacrer pendant des années et se retrouver sans rien, mais c'est un pari qu’on est prêt à prendre lorsqu’on est passionnée par quelque chose. Suis-je assez passionnée par le vélo? Qui suis-je si je ne peux plus appuyer fort sur les pédales ? J'ai compris que je devais cesser de me définir par mes performances, parce que ça me faisait beaucoup de mal. Pour être honnête, je n'avais jamais vraiment fait face à l'adversité auparavant, la constance ayant toujours été l'une de mes forces. Je ne pouvais pas accepter d'échouer ou de ne pas être à mon meilleur niveau à chaque course. Ça ne veut pas dire que je veux baisser mes attentes, mais j'ai réalisé que je devais apprendre à faire face à l'échec.

J'ai décidé de mettre les courses sur pause au mois de mai, et d'aller m'entraîner avec quelques amis dans les montagnes. Je me suis concentrée sur ce qui me rendait heureuse, même la chose la plus simple comme une bouchée de melon d’eau après une sortie sous le soleil. Je savais aussi que j'allais bientôt rentrer chez moi, ce que j’attendais avec un peu d’impatience après presque six mois à l’étranger. J’étais de retour sur les rails et je me suis sentie prête à courir à nouveau. Je me découvre peu à peu à travers le cyclisme, surtout dans les moments difficiles, mais ça ne me définit pas, parce que je suis bien plus qu’une cycliste. Tout est question d'équilibre.


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