8 février 2009

Le québécois est trop compliqué pour les Français

Français, Françaises, lisez ceci. Sérieusement. Je sais que ce n'est pas facile pour vous de prendre un Québécois au sérieux. Les Québécois vous font rire. Vous nous trouvez marrants avec notre accent. Et nos expressions truculentes. On est des Ch'tis version extrême. Des Och'tis!

Ah! Vous nous aimez bien! Mais avec un petit sourire en coin. Comme on aime un cousin qui vient de loin. Qui vient de creux. Comme on aime un innocent. Comme Rose-Anna aimait Ti-Coune.

Quand Barack Obama ira visiter votre Sénat, un député le recevra-t-il en utilisant une expression typiquement américaine : « What the fuck, Mister President ? » Sûrement pas. Alors pourquoi avoir demandé à Charest s'il avait la plotte à terre ? Vous qui vous drapez dans le décorum et les formules de politesse, vous qui êtes si distingués habituellement, pourquoi en présence d'un Québécois, fût-il même le premier ministre, vous relâchez-vous comme si vous aviez déjà gardé des cochons ensemble ?

Le député Lasbordes a expliqué sa familiarité en disant que c'est un ami québécois qui lui a suggéré d'aborder notre PM ainsi. Que ça mettrait l'indigène à l'aise. N'importe quoi. Si un ami français d'André Arthur lui propose de saluer le président français, à sa prochaine visite à la Chambre des communes, en lui lançant : « Comment va le connard à Carla? », Arthur risque d'avoir assez de discernement pour juger que ce n'est pas une bonne idée. Alors comment se fait-il que des êtres aussi cultivés et éloquents que vous se permettent de tels impairs ?

Parce que vous ne comprenez pas le québécois. Pour vous, le québécois est un langage de clowns. Toutes nos expressions sont des farces. Du Ding et Dong ! Eh bien non ! Tabarnak, ostie, collis, ce n'est pas drôle. Ce ne sont pas des expressions folichonnes. On les dit quand on est choqué. Insulté, blessé, enragé. Il ne faut pas s'en servir hors contexte. On ne dit pas : « Vous êtes belle, ma tabernak ! » Ce n'est pas délicat. Je sais, ça vous amuse. Parce que pour vous ces mots sont rustiques. Presque bucoliques. Ils sentent le bois et le fromage Oka. Tant mieux pour vous. Mais puisqu'ils nous appartiennent, puisqu'ils sont nôtres, vous devez respecter le sens qu'ils ont pour nous. Et vous en servir à bon escient.

J'ai déjà lu dans Libération, un très bon journal écrit par des journalistes très songés : « Le chanteur tabernacle Roch Voisine ». C'est quoi, ça ? Le chanteur tabernacle ? Le critique voulait faire du style ? Le critique voulait faire québécois ? Faire cabane au Canada ? Ben qu'il le fasse comme du monde. À la limite, il aurait pu écrire : « Roch Voisine, le chanteur qui plaît aux pitounes. » Voilà pour le côté bûcheron. Mais le tabernacle ne doit pas servir à toutes les sauces. Est-ce que dans Le Devoir, Sylvain Cormier écrirait : « Le chanteur à la con, Johnny Halliday... » ? Juste pour faire français. Juste pour faire parigot. Ben non !

Quand on veut se servir des expressions de gens venus d'ailleurs, il faut les comprendre. Or le québécois ne s'apprend pas chez Berlitz en deux semaines, c'est trop complexe. Il y a trop de nuances. Se paqueter la fraise, ça veut dire se saouler. Mais paqueter ses p'tits, ça ne veut pas dire saouler ses enfants, ça veut dire s'en aller. Avoir un ostie de char, c'est conduire un citron. Mais avoir un char qui roule en ostie, c'est avoir une caisse d'enfer. Avoir la plotte à terre ne fait pas référence à une pelote de laine déroulée. Ce n'est pas être au bout du rouleau. Être au coton. C'est beaucoup moins subtil. C'est plus con, c'est le cas de dire. Bref, embarquez-vous pas là-dedans. Le québécois est une langue trop explosive pour s'en servir impunément.

Vous avez beau être éduqués et couverts de diplômes, ne parle pas québécois qui veut. Cessez d'être guidés par votre condescendance à notre égard. Vous n'êtes plus la mère patrie. Vous êtes la mère partie. L'enfant s'est débrouillé tout seul. Et cela a donné ce que cela a donné. Sarkozy n'a pas à savonner les souverainistes québécois, pas plus que de Gaulle n'avait à les encenser. Nous ne sommes plus la Nouvelle-France. Nous sommes le Québec ou le Canada ou l'Amérique. On ne le sait pas trop, mais c'est de nos affaires. Daniel Johnson père ne disait pas au Général quoi faire avec l'Algérie. Jean Charest ne dit pas à Sarkozy quoi faire avec les sans-papiers. Nos bébelles, ce sont nos bébelles. Votre truc, c'est votre truc. Respect, les mecs !

De toute façon, au rythme où vont les choses, un jour ou l'autre, c'est certain, on va le gagner, votre respect. Vous ne vous moquerez plus de notre accent. Vous ne détournerez plus nos expressions pour faire rire la galerie. Vous nous comprendrez enfin. Vous nous traiterez avec tous les égards. Et ce jour est pour bientôt. C'est le jour où tous les Québécois parleront anglais. A few days after, it will be your turn.


10 f�vrier 2009

« Plotte à terre » : les dessous d'une gaffe

Laure Bonvalot ne cache pas son malaise. Mettez-vous à sa place : c'est elle qui a suggéré au député français Pierre Lasbordes d'utiliser l'expression «la plotte à ter­re» pour accueillir le premier ministre Jean Charest à Paris. Une suggestion qu'elle avait prise dans le site Internet de Couleurs Québec et qu'elle aurait préféré ne jamais remarquer...

L'attachée parlementaire de ce député français est dans ses petits souliers depuis la semaine dernière. Jamais elle n'aurait cru qu'un mot d'accueil tout simple pourrait faire couler autant d'encre et faire autant jaser au Québec. Jamais elle n'aurait cru non plus que son patron partirait une nouvelle mode linguistique dans les foyers québécois.«Mon député, vous ne le connaissez pas plus que ça. Mais c'est quelqu'un de jovial, de très humain. Il voulait vraiment dire : j'espère que vous n'êtes pas trop fatigué. Ça m'embête tout le débat qu'il y a eu derrière cette histoire», confie-t-elle au Soleil, de son bureau de Paris.

La jeune femme a accepté de remonter le fil de l'histoire. Elle explique que M. Lasbordes voulait faire de l'humour pour souhaiter la bienvenue au premier ministre dans la salle du Sénat, un peu à l'image du sénateur Jean-Pierre Raffarin. Comme M. Charest avait beaucoup voyagé avant son arrivée, Laure Bonvalot et la femme du député, Mario-Jo Lasbordes, ont pensé qu'il serait gentil de lui demander «en québécois» s'il n'était pas trop fatigué.

Une visite dans Internet et le tour était joué. «On voulait simplement lui dire un petit mot de bienvenue en québécois, un truc vraiment très amical. Et parmi tout un lexique dans le site de Couleurs Québec, il y avait notamment l'expression «avoir la plotte à terre» pour dire «être très fatigué». Du coup, on s'est dit que ça devait se dire comme ça : la plotte à terre, la tête à l'envers...», explique-t-elle.

Laure Bonvalot a poussé la recherche un peu plus loin et s'est rendue sur un site participatif où un internaute de la «province» de Rimouski lui a confirmé que cette expression venait de son coin de pays. Mystérieux personnage... Le Réseau international des correspondants francophones faisait aussi référence à cette traduction pour le moins imagée, ce qui a donné bonne conscience à l'attachée parlementaire.

«Ce n'est pas très adroit de ne pas avoir vérifié plus amplement. On est vraiment désolés de cette polémique. La prochaine fois, je vais appeler des Québécois pour leur demander leur aide! Vous, ça vous fait rire cette expression. Mais quand je la prononce, c'est très neutre pour moi...», lance-t-elle, visiblement embarrassée.

La femme de M. Lasbordes tente de son côté de prendre cette histoire en riant, mais espère que les Québécois ne se sont pas sentis blessés par cet écart de langage. Marie-Jo Lasbordes prend aussi la peine de préciser deux fois plutôt qu'une que son mari n'a rien d'un effronté. «Il est quand même un peu ennuyé. Je le connais très bien. Je suis mariée avec lui depuis 32 ans. Ce n'est pas quel­qu'un de vulgaire du tout. On ne voudrait quand même pas qu'il passe pour un mal élevé! On est sur notre réserve parce qu'on ne sait plus si ç'a été mal pris au Québec», explique-t-elle au Soleil, en l'absence de son mari, qui s'est envolé hier pour Kourou.

Pour sa part, le directeur de Couleurs Québec, Yann Guillou, n'était pas du tout au courant de cette tempête médiatique lorsque Le Soleil l'a joint dans ses bureaux basés en Bretagne. Pourtant, c'est dans le site Internet de cette entreprise que Laure Bonvalot avait trouvé la référence à l'expression «la plotte à terre». M. Guillou préside cette société d'importation et de distribution de produits québécois depuis trois ans. Mais il admet qu'il n'a pas eu le temps de faire le ménage du lexique en ligne, qui vise à donner un coup de pouce à ses clients qui veulent découvrir le Québec.

Selon lui, la plupart des expressions québécoises qu'on y retrouve ont été pigées dans le livre Le québécois pour mieux voyager, publié par Ulysse. Mais à la maison d'édition, on jure que l'expression «la plotte à terre» n'a jamais été inscrite dans ce petit guide. L'édition de 2004 n'en fait d'ailleurs pas mention, comme a pu le constater e Soleil.

Yann Guillou se promet de se pencher sur la question et de faire sa petite enquête. Ce Breton a lui-même été victime de quelques mésententes linguistiques lors de ses voyages au Québec. Dans son cas, il avait utilisé l'expression «tirer la pelote» pour parler de la démarche pour trouver une solution à un problème. «En France, ça veut dire tirer la pelote de laine, tirer le fil. Mais j'ai eu droit à différentes réactions autour de la table... Je passe mon temps dans mon travail à vérifier si ce que l'on se dit entre Français et Québécois est bien compris par les deux parties», soutient-il.

Chose certaine, Laure Bonvalot, elle, a eu sa leçon et affirme qu'elle n'a plus du tout envie d'utiliser des expressions locales pour sympathiser avec les Québécois. D'autant moins que son équipe a reçu des courriels malicieux à la suite de cette polémique, qui est survenue après les propos de Nicolas Sarkozy sur la souveraineté du Québec. Selon elle, certains Québécois lui ont fait comprendre qu'il s'agissait de la goutte d'eau qui faisait déborder le vase.

« Je crois qu'en bout de ligne, on ne voudra plus faire du "québécois", avance-t-elle. J'ai lu certains chroniqueurs qui disaient : "c'est quoi cette histoire de vouloir dire un mot dans la langue de celui qu'on accueille ?" Je trouve ça "sectariste". Pourquoi ne pas faire honneur à la langue québécoise, à ses expressions ? Là, malheureusement, on s'est trompés, mais il n'y avait vraiment pas de mauvaise intention. »

Quelques expressions québécoises tirées du site breton Couleurs Québec
Une bite : temps qu'un prisonnier doit faire en prison
Un bividi : sous-vêtement masculin
Donner un bec sur la suce : donner un baiser sur la bouche
Le potte : ventre bien rond qu'ont des hommes à un certain âge
Quessé ? : qu'est-ce que tu fais ?
Rase-trou : mini-jupe très courte
Une vieille sacoche : une vieille femme