29 novembre 2006

Combien gagnent les médecins ?

Des écarts considérables entre les spécialités

André Noël

Les médecins spécialistes qui montent le plus au créneau pour forcer Québec à délier les cordons de sa bourse ne sont pas les moins bien payés de la profession. Au contraire. Au point où certains se demandent si la Fédération mène la bonne bataille. Et de la bonne façon. Comme en amenant l'Université de Sherbrooke à suspendre les stages d'externat, alors que les spécialistes qui forment les étudiants sont rémunérés et liés par contrat à l'institution.

Le nouveau président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, le Dr Gaétan Barrette, appartient à une des spécialités les mieux payées, ce qui crée un malaise chez des médecins qui gagnent deux ou même trois fois moins que lui. En effet, le Dr Barrette est aussi président de l'Association des radiologistes, dont les membres réclament en moyenne 400 000 $ par année à la Régie de l'assurance maladie du Québec.

Le quart d'entre eux, soit 152 radiologistes sur 558, ont réclamé en moyenne 681 708 $ en 2005, selon les données de la RAMQ, disponibles sur son site Internet et publiées dans le dernier numéro du magazine Santé inc. Il s'agit de sommes brutes, qui englobent les dépenses des cabinets privés. Les spécialistes reçoivent une certaine somme pour leurs actes accomplis dans les hôpitaux. Ils peuvent réclamer plus pour leur travail effectué en cabinet privé, à cause des frais.

Ces dépenses sont élevées dans les cabinets de radiologie, qui doivent acheter des équipements coûteux. La RAMQ les évalue à 70 % des revenus bruts en cabinet privé. Impossible de connaître les revenus totaux nets. Mais il est de notoriété publique, au sein de la profession, que les radiologistes font partie des spécialistes les mieux payés.

«Le fait qu'un radiologiste se retrouve à la tête de la Fédération des spécialistes ne fait pas plaisir à tout le monde, note le Dr François-Pierre Gladu, président de l'Association des jeunes médecins du Québec. Les spécialistes sont unis pour réclamer l'équité salariale avec les autres provinces, et ils ont raison. Mais il y a un autre dossier à traiter : l'équité au sein de la profession.

«Les écarts de rémunération dépassent l'entendement. Les radiologistes sont très riches, contrairement à d'autres médecins, souvent des femmes, qui travaillent aussi fort qu'eux, mais dans d'autres disciplines. En plus de ce qu'ils réclament à la RAMQ, ils peuvent envoyer leurs patients dans leurs cliniques privées et les faire payer pour des scanners, des résonances magnétiques, des échographies.»

Impossible de chiffrer les sommes payées par les patients, qui grossissent les revenus globaux. Le vice-président de l'Association des radiologistes, le Dr Jacques Lévesque, affirme que c'est marginal. Alors combien gagnent les radiologistes? «Une fois qu'on a soustrait les dépenses en cabinet privé, je dirais que la moyenne de nos revenus se trouve quelque part entre 350 000 $ et 400 000 $ par année», répond-il.

À titre de comparaison, les pédiatres ont des revenus annuels de 191 000 $; les neurochirurgiens, de 237 000 $; les hygiénistes, de 120 000 $ (voir tableau). Comment expliquer de tels écarts? «C'est un débat qui a eu lieu pendant plusieurs années au sein de la Fédération des spécialistes (FMSQ), dit le Dr Lévesque. Il y a des spécialistes qui ont préféré avoir un mode de rémunération mixte, qui leur garantissait un salaire de base, ce qui fait que c'est très variable d'une profession à l'autre. Mais au sein de la FMSQ, les gens se disent : peu importe le mode de rémunération, on veut essayer d'avoir un rattrapage par rapport à la moyenne canadienne.»

Le Canada anglais, un exemple à suivre ?
Le Dr Martin Plaisance, un néphrologue (spécialiste des reins) du centre hospitalier de Sherbrooke, estime que cette revendication n'a aucun sens. «Dans le Canada anglais, on assiste à une surenchère des salaires, en compétition avec les États-Unis, dit-il. Les salaires des médecins augmentent bien plus que l'inflation. Ce n'est pas un exemple à suivre (...). Je suis content d'avoir un bon salaire. Mais justement, une fois qu'on sait qu'on a un bon revenu et on le mérite, il nous reste plutôt à dire merci à la population.»

L'augmentation des salaires des spécialistes n'améliorera en rien les soins, ajoute le jeune spécialiste, âgé de 35 ans. Cela dit, il est d'accord pour que les conditions de travail soient bonifiées. Une façon de rendre les spécialistes plus heureux, suggère-t-il, c'est d'augmenter le nombre de salles d'opération, d'infirmières et d'employés de soutien «pour être capables de faire notre travail de manière décente et agréable».

Le Dr Marcel Boulanger, anesthésiste à la retraite, souligne que la hausse salariale de 40 % réclamée par la FMSQ représente une augmentation de 160 000 $ pour les radiologistes qui en gagnent 400 000 $.

«Cette revendication est totalement exagérée, dit-il. Je constate que c'est encore une fois un radiologiste qui dirige la bataille, et de façon radicale, comme s'il avait participé au saccage de la Baie-James. C'était la même chose lors de la grève des spécialistes de 1970. Sous la direction d'un radiologiste, la Fédération encourageait ses membres à quitter le Québec le temps de la grève. Moi, j'ai refusé ça. Je travaillais comme un damné à l'hôpital Notre-Dame : je considérais que mon serment d'Hippocrate m'obligeait à m'occuper des patients.»

Les médecins québécois ne sont pas les seuls à être moins bien payés que leurs homologues des autres provinces, souligne le Dr Boulanger. C'est en effet le cas des infirmières. Comme les médecins, elles occupent le dernier rang au Canada. Une infirmière débutante gagne 34 000 $ au Québec et 46 000 $ en Ontario. Si le gouvernement québécois accorde la parité aux médecins, note une militante, il sera bien mal placé pour ne pas la donner à tout le personnel de la santé.