Italie du nord
Viganella, petit village encaissé du massif d'Ossola dans le nord de l'Italie, reçoit artificiellement depuis dimanche les rayons du soleil grâce à un miroir géant qui renvoie vers le hameau une lumière directe dont il est privé pendant trois mois d'hiver.
Lors de sa mise en route dimanche, le miroir pesant plus d'une tonne et découpé en 14 panneaux mobiles, a reflété avec succès ses premiers rais de lumière sur Viganella, ont rapporté les médias italiens. Chaque hiver, des premiers jours de novembre à début février, un sommet empêche le soleil d'atteindre le village et contraint pendant 80 jours les habitants à l'ombre et au froid.
"J'attendais ce moment depuis sept ans, lorsqu'avec un ami architecte j'ai commencé à réfléchir sur un moyen de régler le problème du manque de soleil en hiver. Cela n'a pas été facile, nous avons dû chercher les matériaux adaptés, se renseigner sur la technologie, et surtout trouver de l'argent", a commenté le maire Pierfranco Midali, cité par l'agence Ansa.
Le coût de l'opération s'est élevé à 150 000$ (99.900 euros), précise sur son site internet la municipalité, qui indique avoir fait beaucoup d'envieux dans les villages de montagne d'Italie et de Suisse, dont Viganella est toute proche.
11 janvier 2007
Un miroir géant perché à 1 100 mètres d'altitude inonde la place du village de Viganella de la lumière solaire qui lui fait défaut chaque hiver, 83 jours par an. Récit d'une prouesse initiée par le maire de cette bourgade transalpine.
Dino Dimeo
Certains espèrent décrocher la Lune, d'autres accrochent le soleil. A Viganella, Pierfranco Midali, son maire, a voulu le soleil. Il l'a obtenu. Ce soleil pèse plus d'une tonne, mesure 40 m2, et coûte 99 000 euros. Un rêve des plus fous destiné à transformer la vie d'un endroit si vivant l'été, si éteint l'hiver. Un rêve devenu réalité après sept ans de bataille, et qui se concrétise par un miroir articulé placé à 1 100 mètres d'altitude. Depuis quelques semaines, grâce à ce miroir, la lumière inonde toute l'année la place principale de Viganella. Jusqu'alors, ce petit bourg du nord du Piémont, construit au Moyen Age au fond d'une vallée sombre, vivait glacé dans l'ombre des trois mois d'hiver : l'astre suprême ne monte pas assez haut dans le ciel pour l'illuminer de ses rayons.
Aujourd'hui, Viganella a retrouvé un peu de couleur, grâce à l'audace de son premier citoyen, conducteur de locomotives depuis un quart de siècle et astronome amateur par passion. « Vous savez, il y a les Alpes riches et les Alpes pauvres. Celles qui restent toujours dans l'ombre, note avec fatalisme Pierfranco Midali, 47 ans. Ce miroir nous a donné un peu de lumière. Maintenant, on nous situe sur une carte. »
« Avec cette histoire, on a réussi à remuer la moitié de la planète.» Giannino Broggio est fier de ce coup. Le 17 décembre 2006, des médias du monde entier avaient dépêché leurs envoyés spéciaux pour l'inauguration. Et la ville andalouse de Huelva, qui fonde toute sa campagne promotionnelle sur le soleil, a sauté sur l'occasion pour se proposer «ville jumelle» avec le slogan «Huelva la luz» (qui, phonétiquement, signifie « Que la lumière revienne »). « La presse écrite mais aussi les télés comme la BBC sont venues sur cette place pour être les témoins de cet événement très particulier », raconte le maire adjoint. « Il y avait même Al-Jezira », précise-t-il.
De la Saint-Martin à la Chandeleur
A une portée de fusil du Simplon et du Valais suisse, il faut s'enfoncer, une fois passé Domodossola, dans une vallée perdue qui mène à Antrona. Après quelques lacets, les petits bourgs se succèdent le long du torrent Ovesca : Montescheno, Seppiana... Tous ces villages sont nés au XIIIe siècle des mines de fer de l'Ogaggia et construits à l'ombre de la montagne Castello pour être plus près du torrent, seule source d'énergie à l'époque. Parmi ces petits bourgs, Viganella, qui détient le triste record des jours sans soleil 83 sur 365. L'astre disparaît le 11 novembre, à la Saint-Martin, et réapparaît le 2 février, pour la Chandeleur.
Viganella, c'est aujourd'hui 203 âmes. Les jeunes ont fui ces murs d'un autre âge il y a bien longtemps, et seuls les «anciens» tiennent le coup, calfeutrés. L'unique supérette du bourg se trouve à Rivera, un hameau situé à 500 mètres sur la route principale, seule occasion pour les habitants de faire quelques pas pour aller acheter le pain chez Rosangela. «Quand elle aussi aura fermé, nous n'aurons plus qu'à nous laisser mourir, lâche Mancini, 72 ans, qui n'a jamais quitté le village. J'espère que l'arrivée de notre soleil va changer pas mal de choses ici.» Mancini raconte qu'il habitait dans une maison perchée sur le versant adret du pizzo Ciapè. C'est là que sa mère gardait les vaches. C'est exactement au même endroit, sur ce piton rocheux escarpé, que le miroir et son mécanisme sophistiqué ont été placés. Mancini jette un oeil aveuglé vers ce reflet étrange qui vient de «chez lui» puis regarde vers le village : «C'est vrai que cette place est plus belle comme ça.»
« Faire cadeau de la lumière, c'est osé »
Pierfranco Midali ne tient pas en place depuis des semaines. Il passe de l'église à la mairie toute proche, le portable à l'oreille. Aux deux dames transies qui sortent de l'église, il lance : « Alors ! Vous avez vu ? Ça vous plaît ? » Les deux vieilles acquiescent d'un sourire. Cette place, il a voulu la rendre plus sociable. En 1999 déjà, il l'avait fait redessiner par un de ses amis, Giacomo «Gim» Bonzani, la cinquantaine, cheminot lui aussi, architecte à ses heures et surtout grand spécialiste des cadrans solaires. Grâce à l'argent de la paroisse (le maire a été élu sur une liste civique tendance catholique), il fait ravaler l'église paroissiale, agrandit un terre-plein qui va servir de parking et aménage une petite place pavée qui, aux beaux jours, fait surtout le bonheur des estivants. Amateur d'astronomie, «Franco» demande alors à son copain d'imaginer un cadran solaire destiné à orner la façade de l'église. Giacomo s'exécute et revient quelques jours plus tard. «En regardant le tracé solaire sur son plan, je lui ai simplement fait remarquer que, l'hiver, le soleil n'arrivait pas sur Viganella, rappelle Franco. Il m'a regardé ébahi. Je lui ai alors lancé : toi qui es ingénieux, apporte-moi donc le soleil l'hiver ! »
Giacomo Bonzani s'exécute. Quelques jours plus tard, il revient vers Franco Midali avec une première esquisse : un énorme projecteur de cinéma placé sur le versant opposé avec un capteur parabolique géant. Les deux hommes conversent alors à coup de calculs, de formules mathématiques, de prévisions astronomiques. Bonzani propose de soumettre cette idée à Gianni Ferrari, un de ses amis, astronome de métier, qui vit à Modène. « Il m'a immédiatement déconseillé cette option-là. Je suis donc retourné à ma planche à dessin. » Lorsque Giacomo Bonzani revient avec l'idée d'un miroir géant, les yeux de Franco s'illuminent. Il ne peut contenir son enthousiasme et parle de sa folie aux gens du village.
« C'est vrai que faire cadeau de la lumière, c'est osé. C'est aussi un sacré symbole ! » concède le maire. Cependant, tout le monde est loin d'être enthousiaste. « Au début, les vieux [à peine une quarantaine y vit à l'année, ndlr] s'en foutaient un peu. Ils sont habitués à passer leurs hivers à l'ombre, poursuit-il. Se fondant sur l'expérience de leurs observations de nuit avec leurs propres torches, ils m'ont expliqué que le rayon lumineux diminuait avec la distance. Ce qui est vrai. Et là, il s'agissait de le renvoyer sur 874 mètres. Pour eux, c'était donc impossible. Je leur ai prouvé le contraire ! » Ce jour-là, Franco s'empare d'un miroir d'un mètre carré, l'attache sur son dos et gravit à l'arraché les 550 mètres jusqu'en haut du Ciapè. « Quand ils ont vu le résultat, ils ont tendu l'oreille. »
Aujourd'hui, le village, jusque-là totalement ignoré du reste de la province de Verbania, est devenu une attraction. Les curieux osent s'y arrêter et observer l'objet brillant qui culmine sur la montagne. Gino, qui tient le seul agriturismo de la vallée, a profité de l'événement. Lui qui habituellement ferme à cette époque de l'année a pu louer ses baïta sans problème. « C'est une vallée à avalanches ici, et l'hiver y est rude. Pour y vivre, il faut y être né, dit-il. Ce soleil pourrait redonner une seconde vie à cet endroit déserté de ses habitants. » Comme beaucoup, Agostino Genzana, 96 ans, a été obligé de s'exiler dans la vallée du Toce à Villadossola, à quelques kilomètres. Il ne mettait plus les pieds au village l'hiver. Le dimanche de l'inauguration, il a prié sa fille de le ramener à Viganella pour voir à quoi ressemblait le village sous le soleil d'hiver.
Sur le parvis de l'église, Giacomo Bonzani a placé un télescope pour analyser les reflets du miroir. Il est 14 heures et l'ombre projetée n'a pas bougé d'un millimètre depuis le matin, 9 h 15. « C'est la preuve que le mécanisme qui suit les mouvements du soleil fonctionne parfaitement, malgré le vent, assure-t-il. Mais le projet en a fait du chemin avant d'aboutir ! »
Dans la salle à manger du pharmacien
Les deux compères ont dû se battre pour financer leur rêve. La commune de Viganella a évidemment mis la main à la poche, tout comme la province de Verbania. Mais c'est surtout Fondazione Cariplo, une banque locale, qui a permis de débloquer la situation. « La partie montage du miroir a été la plus difficile, explique Bonzani. J'avais tout étudié pour qu'il puisse être transporté en deux fois par hélicoptère. Avec le mécanisme d'astro-correction, le miroir pèse 1 100 kg. Il y a 14 couches d'acier inox travaillées par un spécialiste, Emilio Barlocco, professeur à l'université de Gênes, déjà à l'origine des miroirs qui illuminent les entrées de tunnel sur les autoroutes italiennes. Francesco Branbati, un ingénieur de la région, a tout supervisé. » Mais, lors de la livraison, personne n'avait imaginé que, à cause des 40 m2 de surface, le vent créé par le rotor de l'hélico allait tout casser. « Le miroir a cogné un sapin puis un rocher. Bref, il a fallu changer les plaques. Elles ont été remplacées gratuitement », assure Giacomo Bonzani.
Dans son projet initial, le maire avait choisi scrupuleusement l'endroit exact qui serait illuminé, en tout 250 m2 formés par la place, l'entrée de l'église et un bout de l'ancienne école maternelle. Surtout, il ne fallait pas faire de jaloux. « Normalement, aucune maison individuelle ne devait se trouver dans le champ et surtout pas la mienne », précise Franco Midali en riant. Mais le hasard a fait qu'il y a pourtant une maison privée sur la trajectoire de ce soleil providentiel. Personne n'avait imaginé que les rayons allaient raser le toit de l'église pour atterrir dans la salle à manger du pharmacien qui n'en demandait pas tant. « Du coup, je suis devenu le meilleur défenseur de cette aventure », plaisante le pharmacien, ravi de l'aubaine.
Maintenant, si les rayons solaires arrivent à Viganella sans la chaleur de la lumière directe, Bonzani et Midali assurent que ce n'est que temporaire. « Ce n'est qu'un prototype et nous ne désespérons pas de trouver une solution qui permettra de pouvoir être réchauffés par cette lumière », promettent les deux amis, fiers d'avoir réussi cette première mondiale. « Pendant trois mois, Viganella a réussi à capturer le soleil. Et c'est même le seul endroit sur terre où apparemment il ne bouge pas. »
26 janvier 2007
Ljubomir Milasin
Un pâle rayon de soleil éclaire par une froide journée de janvier le cadran solaire de l'église de la Nativité de Viganella bien que le soleil soit invisible à midi dans ce minuscule bourg du nord de l'Italie.
Le secret ? Un miroir, formé de 14 plaques d'acier inoxydable d'une superficie de 40 mètres carrés, installé à flanc de montagne quelque 250 mètres plus haut et qui renvoie les rayons de l'astre solaire sur le bourg, encaissé au fond d'une vallée et complètement privé de soleil de novembre à février.
« Tout a débuté par un pari en 1999 avec un ami architecte qui a installé un cadran solaire sur le mur de l'église. Je lui ai dit que s'il inventait un moyen pour faire venir le soleil en hiver dans notre localité, je trouverais l'argent pour réaliser son projet », raconte à l'AFP Pier Franco Midali, maire de Viganella.
Débute alors une aventure qui durera des années. Quelqu'un a-t-il déjà tenté une telle expérience ? Selon une recherche faite par les deux hommes sur Internet, un miroir renvoyant les rayons du soleil sur une localité n'existe que dans une bande dessinée de Mickey....
Un premier projet est rejeté car trop compliqué et projetant une lumière jugée trop artificielle. Le second sera le bon et en décembre 2006, après moult péripéties et 90 000 euros de dépenses, le miroir commence à illuminer le bourg qui redécouvre aussi les ombres dont il était privé.
« Je voulais rapprocher les habitants, leur permettre d'avoir une vie sociale même en hiver et de se retrouver au soleil à côté de l'église après la messe du dimanche », confie M. Midali, conducteur de trains de profession.
Car le maire est inquiet : sa commune s'éteint progressivement, elle compte 203 âmes dont environ 80 à Viganella, le chef-lieu, et les personnes âgées sont les plus nombreuses. Mais le dynamique premier citoyen veut donner un avenir à ce bourg séculaire.
Les premiers documents écrits sur Viganella remontent à 1217. Des mines de fer y ont été découvertes, attirant une population dans la vallée où la présence d'une cours d'eau facilitait l'exploitation.
« Ce miroir est vraiment formidable, il donne l'impression qu'un vrai soleil entre dans ta maison », se réjouit Franco Rolandi qui aide sa femme à gérer le « bar-tabac-magasin des Alpes », l'unique commerce de la commune.
« Il y a un engouement pour notre localité. Des Français qui ont le même problème que nous sont venus voir notre miroir ainsi que des habitants d'autres vallées italiennes », affirme M. Rolandi.
« Mais le problème est qu'il n'y a pas de travail ici. Les jeunes vont en chercher de plus en plus loin et finissent par ne plus revenir. La rareté du soleil ne les encourage pas non plus à rester. Mon fils, quand il est parti, a loué un appartement en ville où le soleil donne de l'aube au crépuscule », ajoute-t-il.
Pas de vague à l'âme en revanche pour le maire de Viganella, la cinquantaine énergique, qui va de l'avant avec ses projets.
« Ici, nous avons une petite communauté bouddhiste, un patrimoine historique et culturel très riche, une nature superbe, une population extrêmement accueillante. Cette commune a un avenir », assure-t-il.