6 juin 2004

Le roman de Foglia

Dany Laferrière

Foglia n'a jamais voulu publier ses chroniques. Une telle montagne de textes, plus haute que l'Alpe d'Huez, qui représente plus de 30 ans de travail presque quotidien, peut faire rêver n'importe quel éditeur. Celui-ci aurait l'impression de pénétrer dans la caverne d'Ali Baba. Parce qu'avec ses chroniques, on peut facilement faire un bouquin sur les chats, les randonnées en vélo, les livres, les faits divers sanglants ou sans intérêt, la guerre, le temps qui passe, les voyages, la nature, la flânerie, le rapport étrange qu'entretient l'homme avec sa fiancée, les choses qu'il déteste, le courrier du genou et sur l'écriture. On trouvera sur la mort encore assez encore de manière pour faire un mince recueil désespéré.

Justement, l'idéal pour un éditeur serait qu'un tel avare meure, car mieux vaut négocier avec n'importe quel héritier tatillon qu'avec un pareil entêté. Mais va-t-il mourir un jour ? Sûrement après tous ceux qui ne rêvent que de son or, ca en vieux sorcier, il a compris depuis longtemps que la meilleure façon de congédier la mort, c'est de la nommer. D'en parler constamment et publiquement. Et depuis, il souffre de toutes les maladies mortelles imaginaires, mais, curieusement, à 63 ans, il peut encore pédaler : « J'ai beaucoup pédalé dans ma vie. Jamais très vite, mais je suis tenace, j'aime me vanter d'avoir monté le Glandon, l'Alpe d'Huez, le Passo di Campogrosso, en Vénicie, la Croce Domini. » Mieux encore, il a fait de la fameuse page A-5 de La Presse ce difficile col que tout jeune chroniqueur rêve de grimper un jour. Et où, lui, il est resté au sommet pendant des décennies, à la fois imperturbable et inquiet.

Un cadeau
Pierre Hamel, l'éditeur de Vélo Mag, passionné comme lui de cyclisme, a réussi à le convaincre de faire ce bouquin (Le Tour de Foglia publié par Vélo Mag et Les Éditions La Presse, 2004) en lui mettant sous le nez les 400 pages qui constituent l'ensemble de ses chroniques sur le Tour de France. C'est que Foglia a couvert huit fois (1992, 1993, 1995, 1997, 1998, 2000, 2001, 2003) ce difficile parcours. Comme j'ignore tout de ce sport, de son parcours comme de ses vedettes, j'ai décidé de considérer ce livre comme un roman plutôt qu'un recueil de chroniques. Un roman classique dont l'action se passe en France (unité de lieu), et qui ne dure que le temps d'une interminable course (unité de temps). Les personnages, tous des hommes, viennent d'un peu partout dans le monde. On pense parfois à l'Iliade, mais si l'Iliade avait au moins Hélène pour l'illuminer, le Tour de France ne compte aucune femme. C'est un monde d'hommes où on ne rêve que de vélo.

Pour bien lire ce livre, il faut oublier les chroniques qu'on a peut-être déjà parcourues. Ce sont les mêmes textes, mais le nouveau montage change complètement la perspective. Hamel le dit bien : « Regroupées, tes petites histoires revivent. Elles se transforment en grandes histoires. » Foglia lui-même s'est mis au travail, se noyant dans cette mer d'encre où, comme un enfant, il a joué avec les ciseaux. Il a « scrapé des textes entiers ». Et de ses huit couvertures du Tour de France, il a finalement tiré un étrange roman.

Un art de vivre
Le livre est assez simplement construit. Et c'est toujours ainsi quand le contenu est consistant, pas besoin d'en mettre plein la vue dans la forme. On démarre avec des portraits en pied de ces grands champions de notre époque que sont Lance Armstrong, Miguel Indurain et Jan Ullrich. Après, on passe aux chevaux légers, et là il y a Tony Rominger, que Foglia aime bien. Ensuite c'est la mort de Fabio Casartelli. Après, c'est le Tour au quotidien. Finalement, il clôt par une section qu'il a particulièrement soignée : la France du Tour. Qu'est-ce que ça veut dire au juste ? Ce qu'il a vu : les paysages, les bêtises des gens et les beautés de la campagne française, les hôtels minables et les petites villes dont personne n'a jamais entendu parler. C'est plutôt dans cette partie qu'il semble le plus à son aise. C'est le poète des petits matins pluvieux.

Et on a envie de tout citer. Comme cette fois à La-Ferté-sous-Jouarre, chez ce Jean Blanchard tranquillement assis devant chez lui à regarder passer le Tour de France. Foglia, en garant sa voiture pas trop loin, lui fait un compliment sur son jardin. On cause de l'accent québécois (ça ne manque jamais) comme des soissons du petit jardin, ces petits haricots blancs que sa femme lui fait en salade, et qu'il faut manger tièdes avec des oignons. En trois phrases, Foglia nous peint un art de vivre.

Le style
Le voilà qui veut pisser, en chemin, sur la tombe de Luis Mariano. Un peu pour imiter Jean-Paul Sartre qui rêvait de faire le coup à Chateaubriand. Et Foglia, cas rare, qui cite du même souffle Sartre, Chateaubriand et Barthes (j'ignorais qu'il était lecteur de Barthes). Lui qui, comme un paysan, a horreur qu'on sache qu'il a de la culture. Il va voir au cimetière d'Arcangues, la tombe de Luis Mariano. Comme il s'apprête à pisser sur la tombe, il découvre l'épitaphe gravée sur la dalle : « À toi, mon prince, que ton repos soit doux comme ton coeur fut bon. » Le voilà si bouleversé qu'il n'ose plus faire sa petite plaisanterie. C'est la mort qui se dresse devant lui. Villon qui réprimande : « Homme, ici point de moquerie. » Et la mort prend, comme toujours avec lui, les traits de la belle de Cadix qui tourne autour de lui en dansant et en chantant « chica ! chica ! chic ! ay ! ay ! ay ! »

Foglia a toujours refusé d'affronter l'intemporel, qu'il trouve un peu pompeux. C'est ce qui l'a, peut-être, poussé vers le journalisme. C'est dans les gestes les plus simples qu'il cherche le grandiose. À la mort du cycliste Casartelli, il consigne ce détail émouvant : « Le vélo dérisoire de Fabio Casartelli, dressé contre le ciel, sur le toit de la voiture du directeur technique des Motorola. Son numéro 114, barré d'un crêpe noir. » C'est à la fois simple et frappant. Tout tient dans l'adjectif «dérisoire» qui, au lieu de minimiser l'événement, lui donne plutôt un sens mythologique. Voilà le style selon Foglia.

Le tour de force
Tout l'art poétique de Foglia se trouve concentré dans ces 18 frémissantes pages (de 51 à 69) : le portrait de Miguel Indurain. « Regardez Indurain comme il est beau sur un vélo. Le plus beau. Y bouge pas. Les jambes bien sûr, dang dang, dang, des pistons. Et souple, hein. Mais le reste une statue ! Le plus beau. » C'est un fan qui lui chuchote cela, en voyant passer un Indurain ruisselant de pluie et de gloire. Avant de revenir à la manière de Foglia, il faut penser en lisant ces chroniques qu'elles ont été écrites au jour le jour. Écrites pour être publiées le lendemain. Quant on voit la qualité du texte, on se demande combien d'entre nous pourraient en faire autant. Et cela sous la pression constante du lecteur. Le lecteur de Foglia s'inquiète quand il prend de trop longues vacances. Il veut sa dose. Son café et Foglia. Sans Foglia, je ne suis pas sûr que je me serais intéressé au cyclisme au point de suivre le Tour de France. Il aurait réussi son vieux rêve d'embrasser tous les lecteurs possibles, le profane comme l'expert. Le grand écart qu'il aurait réussi avec cette déconcertante aisance. Au fond, il a dû souffrir énormément. La page blanche n'est pas moins facile à grimper que les Pyrénées. Justement, il vient de voir passer l'impavide Indurain, « sa grande face de Jésus ravagée par la douleur ». Les deux hommes ont souvent l'élégance de nous cacher leur douleur.

Un autoportrait
Si le cyclisme ne me touche nullement, par contre, le style - le style étant dans ce cas l'esprit qui fait du vélo - m'intéresse au plus haut point. Et à ce jeu où l'on peut risquer gros, Foglia me paraît l'égal d'un Indurain. Il peut bien secouer la tête en signe de dénégation, je maintiens ce que je viens de dire. On n'a qu'à tenter de faire comme lui pour sentir assez vite le manque d'air. À propos d'Indurain, Foglia note à Aurillac, le 23 juillet 1992 : « On dit de Miguel Indurain qu'il est avare de son talent. Quelle bêtise ! Il l'a épuré au contraire de tout le clinquant de la gloire. Diamant brut dans un peloton de pacotille. On dit d'Indurain qu'il ne donne pas un coup de pédale de trop. Autre bêtise. » Ce travail pour décanter le texte de sa gangue (son emploi du joual reste admirable de précision et de sobriété), on a vu Foglia le pratiquer pendant des années pour finir par parfaire cette chronique au point qu'on ne peut plus la lire sans vouloir l'imiter. C'est ainsi qu'il a fallu endurer toute une génération de petits Foglia.

Mais Foglia continue ce portrait d'Indurain, qui est en fait un auto-portrait. « On dit Miguel secret, il n'y a pas plus transparent. On le dit humble, il n'y a pas plus tranquillement, plus sereinement sûr de sa force. » Mais qui est Foglia ? Je viens brusquement de remarquer qu'on ne sait à peu près rien de l'homme le plus influent de la presse québécoise. On ne sait de lui que ce qu'il a bien voulu glisser dans ses chroniques au fil des années. Et s'il s'était inventé un passé, devenant, aujourd'hui, sous nos yeux, ce personnage quasi fictif qui n'a d'autre adresse que celle du journal ? Mais le rêve de tout voyageur, c'est de se réinventer. Foglia n'a aucun témoin. Personne ici ne l'a connu avant l'âge de 20 ans. Un jour, il y a très longtemps, en ouvrant le journal, un nommé Pierre Foglia nous a sauté au visage (vous souvenez-vous de la première fois que vous avez remarqué ce nom ?), et depuis, il est devenu, dans certaines maisons, aussi présent que le téléphone ou la télé, et parfois aussi nécessaire que l'électricité (il y a des gens qui ne jugent un politicien, ne lisent un livre, ne vont au restaurant ou au cinéma, que sur recommandation de Foglia). Il faut dire que dans d'autres maisons, il est vu comme un homme grossier, vaniteux et inculte. Et entre les deux situations, son coeur balance encore.


23 avril 2008

Trois livres, disons deux et demi

Pierre Foglia

Le plus embêtant avec la critique, ce n’est pas qu’elle fasse mal, c’est qu’elle paralyse. Quelqu’un écrit quelque part que Foglia est un ci et un ça. Il n’y a pas de réplique possible. Quoi que tu répondes, tu auras de toute façon l’air de dire : ben toi aussi d’abord !

Ce qu’on sait moins, c’est que la louange a exactement le même effet. Quelqu’un écrit quelque part que Foglia oh là là Foglia ! Et te voilà ligoté. Prenez par exemple Dany Laferrière qui a écrit sur moi des choses si gentilles qu’en les lisant, j’avais l’impression d’être mort. C’est d’ailleurs comme ça que commençait son éloge : faut pas attendre qu’il soit mort.

Et il m’a embaumé vivant, ce con. Comment voulez-vous, maintenant, que je parle de son dernier roman ?

Je dis que c’est nul et je passe pour un chien sale.

Je dis que c’est bon : on sait bien, je lui renvoie l’ascenseur.

Je dis que c’est moyen : j’essaie d’être fin malgré tout.

Ben, je dirai rien d’abord. Arrangez-vous.

(...)


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Guy Maguire, webmestre, info@veloptimum.net
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