25 mars 2004

Le bonheur des lounges

Dominique Perras

On participant à des courses un peu partout au monde, j'ai accumulé des points de fidélisation des compagnies aériennes. Puis, un jour, pour me féliciter d'avoir maîtrisé l'art de dormir avec la colonne vertébrale en S, le front collé sur un support à plateaux de service, on m'a (enfin) offert l'accès aux lounges dans les aéroports. Vous savez, ces petits endroits intimes où l'on vous offre gracieusement nourriture, boissons et Internet juste parce que vous êtes un bon client ?

Croyez-moi, dans un lounge, le mot «escale» prend un tout nouveau sens. Surtout ces dernières semaines alors que les escales à Los Angeles, Auckland, Sydney, Singapour et San Francisco ont été bien longues. J'arrive d'un camp d'entraînement en Californie, suivi d'une course en Nouvelle-Zélande, du Tour de Langkawi en Malaisie et d'une visite éclair au Québec. Ma destination finale: la Floride.

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Ma première course de l'année fut donc le Tour de Wellington (Nouvelle-Zélande), qui se déroule dans une région dotée d'une verdure impressionante. En janvier, c'était l'été là-bas. Pas tout à fait désagréable. Le Tour of Wellington était une étape importante pour les membres de l'équipe canadienne qui espèrent se tailler une place aux Jeux olympiques, une belle occasion d'accumuler de précieux points afin d'améliorer le classement mondial du Canada avant le 30 avril.

La course de cinq jours a bien débuté pour moi; après trois étapes, j'étais troisième au classement général. À la 4e étape, après moins de 2 km parcourus, un groupe de 15 coureurs a pris quelques mètres. J'avais quatre coéquipiers devant, notamment Eric Wohlberg qu'on savait le plus fort à l'approche du contre-la-montre le dernier jour. Ce n'était donc pas à moi de bouger et personne ne l'a fait. Les huit coureurs de ce groupe ont terminé avec 11 min d'avance… comme quoi il faut être vigilant en tout temps! Le lendemain, j'ai pris le deuxième rang de l'étape de montagne et remonté à la 9e place du classement général. Finalement, Eric Wohlberg a remporté le classement final et, avec quatre des nôtres dans les 10 premiers, on pouvait dire «Mission accomplie». En fait, il aurait été difficile de faire mieux.

Quatres jours, une kyrielle de films et de lounges plus loin, nous avons pris le départ du Tour de Langkawi, une épreuve de 10 jours, pas mal plus relevée, à laquelle participent notamment plusieurs équipes de première division. Notre équipe nationale était aussi très solide, avec le renfort de Roland Green (quatrième l'an passé et l'un des favoris cette année), Eric Wohlberg, toujours fidèle au poste, Charles Dionne pour les arrivées massives et Alexandre Lavallée, Peter Wedge et Cory Lange comme équipiers de luxe.

Je prenais part à cette épreuve pour la quatrième fois, et bien que lors de ma dernière participation en 2002 j'avais terminé dix-huitième après avoir perdu beaucoup de temps à la suite d'un bris mécanique, je savais que cette fois j'étais loin d'avoir la même préparation tant sur le plan du volume que de l'intensité. J'étais donc réaliste. Avant tout, mon objectif était d'aider Roland Green et les autres Canadiens, avec l'espoir d'obtenir un bon résultat dans une étape. En fait, j'ai surtout entrepris cette course dans un esprit de préparation générale à une longue saison à venir, tout comme une bonne partie du peloton d'ailleurs.

Chose certaine, les Colombiens, eux, étaient prêts. Dès la 2e étape, lors de la fameuse montée de 50 km vers Cameron Highland (graduelle, bien moins difficile que Genting Highland, mais tout de même, 50 km de montée, c'est long!), ils nous ont bien exprimé leur motivation. Freddy Gonzales a finalement remporté le classement général, après avoir vu son coéquipier Marlon Perez porter le maillot de leader pendant plusieurs jours. Ils n'ont laissé que des miettes, remportant aussi le maillot de meilleur grimpeur et le classement par équipes.

Gordon Fraser, qui s'alignait avec son équipe américaine, a été le seul non-Colombien à remporter un maillot (meilleur sprinteur). De notre côté, Roland n'avait pas tout à fait les jambes de la saison dernière (il a raté une bonne partie de la saison dernière pour des raisons de santé) mais a tout de même terminé en 10e position. Eric Wohlberg, lui, a démontré qu'à 39 ans il était encore habité d'une formidable rage de vaincre en remportant le contre-la-montre de 19 km. Finalement, nous avons terminé cinquièmes au classement par équipes.

J'ai combattu une bronchite pendant presque toute l'épreuve (lounge ou pas, j'ai très souvent des problèmes respiratoires après les longs vols, la qualité de l'air dans les avions et les aéroports me posant problème) et j'ai fait de mon mieux pour aider mes coéquipiers lorsque le besoin s'est fait sentir. J'ai tout de même tenté ma chance à deux reprises, notamment le jour de mon 30e anniversaire où je me suis échappé en compagnie de 11 autres coureurs, à l'occasion d'une longue étape sur le plat de 170 km. Après 100 km de fugue à 11 coureurs, j'ai poursuivi avec deux Italiens de Lampre et Panaria. Malheureusement, nous avons été rattrapés à 20 km du but.

J'ai ensuite fait un petit saut au Salon du vélo à Montréal, événement qui m'a franchement impressionné par son envergure (souvent, comme coureur, on ne se rend pas compte de l'importance de cette industrie). Et puis ça a aussi été une occasion d'aller remercier les cycles Guru et de faire un peu de promotion pour cette entreprise qui me soutient généreusement en ces temps où je suis «agent libre».

Je vous écris ces lignes de Floride où je passe quelques semaines en raison des derniers soubresauts de l'hiver au Québec. Je prépare les prochaines épreuves, vraisemblablement la Redlands et le Tour de Géorgie. Mon collègue – et trop rarement partenaire d'entraînement – Mathieu Toulouse l'a bien souligné dans sa dernière chronique: pratiquer le cyclisme de compétition au Québec est synonyme d'exil.

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Depuis que je signe cette chronique, j'évite autant que possible de jouer les critiques ou les analystes du monde du cyclisme. Comme ce que je fais de mieux est encore de pédaler, il m'apparaît logique de me limiter à vous relater mes expériences et mes observations. Ce n'est pas à moi de juger les autres. Mais il m'est difficile de ne pas parler de Marco Pantani.

Je ne le connaissais pas vraiment. J'ai à peine eu la chance de le côtoyer dans un certain nombre d'épreuves ces dernières années et je connaissais encore moins ses problèmes personnels. Mais la manière dont on a parlé de son décès, dans la presse notamment, m'a grandement attristé. Tous ces liens avec le dopage sportif m'apparaissent inappropriés. Marco Pantani souffrait de dépression mentale sévère depuis plus d'un an (il avait d'ailleurs été interné à quelques reprises), qu'il traitait avec des anti-dépresseurs en plus de souffrir d'un problème de dépendance aux drogues dures. Son décès n'a simplement rien à voir avec les produits dopants sportifs, si ce n'est que ses démêlés avec la justice l'ont grandement affecté émotivement.

Mais surtout, comme une majorité de gens je présume, je connais des personnes qui ont souffert de cette maladie, et cette nouvelle m'est allée droit au cœur. Alors dites-moi, n'y a-t-il pas un meilleur moment pour faire son procès qu'au lendemain de son décès? Il me semble que c'est une simple question de respect. J'espère qu'il a escaladé sa dernière route avec autant d'aisance qu'il le faisait sur le bitume.


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