2 août :
Jour 35

Aujourd'hui, joie et sourire sont de mise: les choses continuent à bien évoluer pour Isabelle.
Elle est désormais libérée de son attelle au bras gauche, lui permettant de vaquer à ses occupations beaucoup plus aisément.
Comme elle l'a souligné elle-même, "deux bras, dans la vie, c'est un minimum". Tout à fait d'accord avec toi, ma sœur. En fait, il y a des fois ou trois, ce serait encore mieux.
Mais bon, on fait avec ce qu'on a. On a aussi une pensée pleine d'empathie pour ceux qui sont privés de leurs membres de façon permanente.

Elle est de plus en plus solide sur ses jambes et mise à part sa cervicalgie (douleur au cou) qui irradie vers la tête, lui donnant un vague mal de crâne du genre "lendemain de veille bien arrosée", elle ne souffre pas trop.

Après cette deuxième semaine de réadaptation plutôt rentable du point de vue de ses progrès, l'équipe traitante commence à se sentir à l'aise de parler "congé". Pas d'un congé définitif toutefois, car ce serait prématuré vu qu'il y a encore beaucoup de travail à abattre, mais on se permet de contempler des sorties prolongées durant les week-ends.

Pour en discuter, avait donc lieu une rencontre cette semaine avec tous les membres de l'équipe multidisciplinaire en charge d'Isabelle, en présence de ses proches.

C'est ainsi que mercredi après-midi, nous étions quelques représentants d'Isabelle autour de la table, crayon à la main, prêt à noter compulsivement toute information susceptible de nous renseigner sur sa délicate condition.

D'abord mes parents, qui se faisaient un devoir d'y être, comme s'ils venaient rencontrer les professeurs de leur enfant pour recevoir son bulletin.

Je suis émue de voir à quel point, alors que mon frère, ma sœur et moi sommes pratiquement tous au seuil du "troisième âge", demeurons invariablement aux yeux de mes parents pourtant gériatriques, leurs éternels "petits". C'est touchant.

J'étais là moi aussi, il va sans dire, comme digne représentante médicale avec ma liste de questions techniques, diagnostiques et pronostiques.

Et assise juste à côté d'Isabelle se trouvait son indéfectible amie, sa collègue Marie-Maude (NDLR : Denis).

Autour de la table siégeaient le médecin traitant et son résident, l'ergothérapeute, la physiothérapeute, la neuropsychologue, l'orthophoniste et la travailleuse sociale.

Au bout trônait la "patiente" de qui il serait question, nulle autre qu'Isabelle dans toute sa splendeur, qui n'a pas manqué de dérider l'assemblée, annonçant qu'elle se sentait passer en audition devant la commission des libérations conditionnelles.
Marie-Maude s'est auto-proclamée son agent de probation, en charge d'assurer sa réinsertion sociale.

Voilà quelques pointes d'humour lancées par votre futur duo de l'émission Enquête, qui donnaient le ton à cette réunion formelle, permettant d'aborder la question du congé de façon plus légère car avouons-le, tout ça est très anxiogène pour Isabelle.

Chaque thérapeute se prononçait tour à tour sur les progrès fabuleux de leur patiente et était d'accord pour affirmer qu'elle évolue plus rapidement et favorablement que ce que les statistiques auraient laissé présager, dans un cas comme le sien.

En dépit de son TCC (trauma crânio-cérébral, que j'ai lamentablement rebaptisé trauma crânio-cervical en pleine télévision du réseau national, ça me hante encore, je m'en excuse profusément! Blâmons ce lapsus sur l'émotion du moment...)
Donc en dépit, disais-je, de son TCC modéré, on nous annonce qu'elle se comporte plutôt comme ayant subi en fait un TCC léger.
Je n'ai jamais été aussi heureuse d'apprendre que ma sœur affichait un trouble du comportement!

C'est à ce moment que ma mère a semblé avoir envie de faire une intervention. Je la voyais gigoter sur son siège, me disant qu'elle avait sûrement une question qui lui brûlait les lèvres...
Alors que les regards indulgents de l'équipe étaient tournés vers elle, la voilà qui se risque:

"Serait-ce un moment judicieux pour... (pour quoi, maman chérie? pour t'enquérir du futur de ta pauvre fille écorchée du cerveau? Vas-y maman, on est là, on t'écoute. Laisse parler ton cœur...)
Elle plonge soudainement une main dans sa "sacoche" surdimensionnée (cherche-t-elle un mouchoir afin de masquer son émotion?...) et en ressort un Ziploc plein de muffins, en terminant sa phrase:
"...pour vous offrir une petite collation d'après-midi?"

On s'est tous esclaffés d'un fou-rire général. Qui d'autre que ma mère se mettrait aux fourneaux, en pleine canicule, question d'apporter des muffins maison encore chauds pour exprimer sa gratitude aux personnes qui se dévouent pour le mieux-être de sa chère fille? Trop coucounante, cette maman!

N'empêche que personne
ne s'est fait prier pour se mettre un petit muffin moelleux sous la dent. Sauf moi. Qui attendait sagement le retour à la chambre d'Isabelle pour lui piquer du chocolat.
Il faut quand même exercer une certaine discrimination sur les calories qu'on ingère, triste réalité.

À la fin de la réunion où il fut convenu qu'Isabelle jouirait d'un jour supplémentaire à la maison, pour lui permettre de se familiariser à nouveau avec son environnement, nous sommes donc retournés à sa chambre l'aider à faire son baluchon en prévision du congé autorisé le lendemain.

Je sais ce qui vous taraude en ce moment:
Alors oui. Je l'avoue. J'ai cédé à un moment de faiblesse devant cette orgie de Godiva envoyée par son dentiste.
Une lectrice de ma précédente chronique, insurgée devant cette incitation à la débauche dentaire et à la grossière indécence de gloutonnerie, s'est exclamée: "À quand une Commission Cacao?!"

Je crois que ça devrait faire l'objet de la première émission d'Enquête, dès le retour à l'écran de ma sœur.
J'irai m'y auto-dénoncer comme victime, si on me trafique la voix et qu'on me brouille les yeux.

En attendant, on la kidnappe de son institut et on l'amène se tremper le popotin dans la piscine de mon frère, en qualifiant tout ce joyeux barbotage d'un terme savamment recherché: Aqua-hydro-piscino-thérapie.
Allez, c'est ma tournée, j'en prescris à tout le monde!!!

Bonne semaine, Geneviève

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