Je veux juste que toi aussi tu puisses me regarder avec les yeux du cœur

« J’ai une petite (ou plutôt longue) histoire à vous conter. Faites-vous du pop-corn, mettez vous à l’aise, on en a pour un bout.

Il y’a quelques jours j’ai affiché un message sur un groupe de vélo d’hiver à Montréal pour remercier tout ce beau monde d’appuyer ma campagne. Brièvement, j’expliquais que je traversais le Canada en vélo. Tout se passe bien quand soudain un gars envoie un message du genre: « ouais, traverser le Canada avec la COVID, pas très responsable ».

Je lui répond du tac au tac que ma campagne, pour augmenter les infrastructures cyclables, aura plus d’effets positifs sur la santé publique dans son ensemble que les quelques effets négatifs que j’aurai potentiellement sur la pandémie. Rien à faire, le gars continue à m’attaquer. Bon, j’ai pas de temps à perdre. Je lui balance quelques arguments qu’il ne lit pas vraiment et s'en sert pour m’attaquer encore plus. Mouin. Le bon vieux classique du troll.

Je n’y pense plus. Je ferme tout ça. Le lendemain, bizarrement, une curiosité morbide me pousse à lire le reste de la conversation avec le groupe. Je parcours le fil de la conversation. Attaque, attaque, attaque. Le gars va même jusqu’à fouiller dans ma page Facebook pour ressortir le fait que j’ai eu la COVID. Misère. Stop. Je lis tous les messages du gars et je me rends compte qu’il a perdu son père durant la pandémie et n’a pas pu le visiter sur son lit de mort. Sa mère est immuno-déficiente et il ne l'a pas vue depuis mars, depuis le début de la pandémie.

Changement de perspective. On m’attaque rarement sur le fait que je fais mon voyage en temps de pandémie alors que tous les gouvernements recommandent d’éviter les voyages non-essentiels. Tu sais, toi le « troll ». Bein t’as raison de me trouver problématique. Je comprends ta perspective. Perdre un proche, c’est dur en criss, pis si en plus tu peux pas serrer ta mère dans tes bras pour te consoler: c’est le bout de la marde. Je comprends ta hargne et ta rage contre moi. Je ferais sûrement pareil étant dans ta position.

Aussi, sache que je suis comme toi. Je ne me mets pas de l’aluminium sur la tête: respecter les consignes sanitaires c’est vraiment important. Des histoires crève-cœurs comme la tienne ça prouve ton point: on agit trop comme des irresponsables alors que du monde souffre derrière les portes closes.

Maintenant laisse-moi t’expliquer ma perspective. Je te la communique pas pour te prouver qu’elle est meilleure que la tienne. Je veux juste que toi aussi tu puisses me regarder avec les yeux du cœur.

Cet été, j’ai perdu une amie en vélo. Je ne t’apprend rien. C’est un monde qui s’écroule. C’est la définition même de l’absurdité. J’étais tellement en criss contre la vie. J’en voulais à la terre entière. Tu me comprends non? Je suis sûr que tu vis la même chose.

Puis, une semaine après que mon amie soit morte, une autre fille est morte en Gaspésie en vélo. Ça été un déclic, toute la rage que j’avais en moi a trouvé une cible: le système. Pourquoi on est incapable de protéger les usagers vulnérables alors que l’on dépense des milliards pour un mode de transport désuet et polluant: l’automobile?

À ce moment, j’avais juste avec moi-même pour être en beau sacrement. Puis, quelque part à la mi-septembre, mon année scolaire a été annulée sans préavis à cause de la pandémie. Pas de possibilité de réintégrer un autre programme. Je venais de perdre une année scolaire. Je me tournais les pouces chez nous dans une dépression des plus abjectes. J’en voulais à la vie. Je la détestais même. Pourquoi moi? Il ne me restait plus que la hargne.

Puis un bon jour, je me suis dit : ça suffit! Je n’accepterai pas tout ça sans un bon combat. Je me suis dit: « m’en va faire de mon best pour que plus jamais personne ne meurt comme mon amie, parce qu’on est trop poche comme société pour comprendre que le vélo c’est l’avenir et qu’il faut absolument donner des infrastructures cyclables aux cyclistes.

J’ai fouillé dans ma tête. C’est quoi mes forces: une maitrise en science po à l’UQAM. Pas mal, pas assez. Un trip de 8000 km en Afrique en vélo, solo. Bingo! M’en va traverser le Canada en vélo l’hiver. On est à la mi-septembre en passant. J’ai pas encore regardé le stock dont j’ai besoin, rien. S’en suit un rush de malade pour préparer tout ça : acheter l’équipement, lire des blogs, appeler des aventuriers, partir la Campagne du dernier vélo fantôme, préparer un documentaire à venir, etc. etc.

Sérieux, au final c’est un succès : 9000$ de ramassé (objectif 20 000$) pour des organismes qui font la promotion de la sécurité à vélo, des dizaines d’articles de presse où je dénonce le manque d’infrastructures cyclables. Le rêve. Tu veux un conseil l’ami? J’en ai deux pour toi : sers toi de ta rage pour pousser ce que tu sais être juste et surtout trouve ta gang d’alliés. Utilise tes forces. Tu veux qu’on en finisse avec la pandémie. Parle avec les yeux du cœur et tu trouveras des tonnes d’alliés.

Pour finir : pis la COVID là-dedans? Je l’ai pas calculé, j’étais trop dans le rush pour y penser, pour rationaliser tout ça. J’en ai payé le prix. Jai laissé beaucoup de déceptions sur ma route. Connie, cette merveilleuse femme qui m’a payé un hôtel et qui a manqué son Noël avec son père, par ma faute. 1000 fois pardon. Une famille d’Ottawa, que j’ai côtoyée trop longtemps et qui comptait un senior. Le stress que l’annonce leur a causé. 1000 fois pardon.

Le mal est fait. Je vous comprends de m’en vouloir. C’est une nouvelle année, mais on n'efface pas le passé aussi facilement. Est-ce que je vais arrêter mon voyage à cause de la pandémie? Non. Premièrement, j’ai déjà attrapé la COVID et les chances de la rattraper sont moindres. Pas nulles. Je ferai encore plus attention à l’avenir.

Mais non, je n’arrêterai pas pour la simple raison que la pandémie n’a pas retardé la mort de mon amie. Et les 75 cyclistes qui meurent par année, en moyenne, au Canada et les 7500 blessées graves aussi. Leur mort n’est pas été reportée le temps de la pandémie.

Je comprends que la pandémie est une urgence pour toi le « troll ». Je comprends que mes actions ont eu des conséquences négatives, mais je vous demande de vous mettre dans mes souliers: pour moi les morts en vélo ce sont des urgences qui n’attendent pas la fin de la pandémie.

Ce que j’espère le plus c’est qu’on pourra en finir de se lancer des pierres mutuellement. J’espère qu’on va réussir à se comprendre. Que l’on pourra tourner la page. Si c’est pas possible, alors je vous souhaite une bonne année, la paix et la guérison. »

Louis-Joseph Couturier
sur facebook, le 1er janvier 2021, vers 18h25

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